La surveillance active

La découverte de plus en plus précoce des cancers de la prostate permet, aujourd’hui, d’envisager, à côté des traitements à visée curative standard, une surveillance armée ou active. Ce nouveau choix thérapeutique repose sur une meilleure connaissance de l’histoire naturelle du cancer de la prostate et de la possibilité de repérer les formes à évolution lente. Cependant, les critères de sélection des tumeurs susceptibles d’être surveillées sont d’une fiabilité relative et la surveillance étroite ou active est nécessaire pour ne pas laisser passer le temps d’un traitement agressif qui pourrait être nécessaire. L’analyse des séries de surveillance active semble montrer que les patients traités ainsi n’ont pas de perte de chance pronostique. La surveillance active des cancers de la prostate peut être considérée comme une option thérapeutique dans les limites très strictes de sélection et de surveillance des patients.

Introduction

La recherche intensive des cancers de la prostate par l’utilisation du taux de prostate specific antigen (PSA) à grande échelle a augmenté leur nombre dans des proportions importantes. Certains de ces cancers nouvellement découverts ont un potentiel évolutif très faible et ne justifient pas un traitement agressif [1]. Le but de la surveillance active est de diminuer le nombre de traitements curatifs inutiles et par conséquent les souffrances qui y sont associées, sans perte de chance en cas d’évolution. Aujourd’hui, aucune étude randomisée ne permet de connaître la valeur et la place de la surveillance active parmi les différentes modalités thérapeutiques. Il est cependant possible de décrire les éléments de connaissance qui sont disponibles et qui entrent en jeu dans la réflexion sur le bien-fondé de la surveillance active.

¦ Surveillance palliative ou active ?

La surveillance palliative est proposée lorsque la comorbidité du patient atteint d’un cancer de la prostate est trop importante ou quand la maladie est trop avancée pour permettre un traitement à visée curative. La surveillance active s’adresse à des hommes qui pourraient bénéficier d’un traitement curatif et pour lesquels on pense que
l’évolution du cancer sera très lente. L’avance au diagnostic dans ces circonstances peut excéder 10 ans. C’est ainsi que le choix d’une surveillance active peut se justifier s’il est possible de repérer les cancers à faible potentiel évolutif et leur proposer une surveillance étroite qui permet d’identifier ceux qui vont progresser pour ne pas perdre les chances d’un traitement curatif (fenêtre de curabilité).

¦ La prise en compte de l’histoire naturelle n’est pas un fait nouveau

Avant même l’utilisation de la mesure du taux de PSA, plusieurs études ont déjà montré que, parmi les nombreux cancers détectés, un certain nombre évoluaient lentement et que le risque de décès par cause intercurrente l’emportait sur le risque de décès par cancer. Albertsen [2, 3], dans une étude rétrospective récemment réactualisée, puis Johansson [4], dans une étude prospective, ont montré que les

tumeurs de faible grade étaient associées à un risque très faible d’évolution. Le grade est clairement un facteur pronostique de grande importance. Chodak [5] confirme ce fait sur une série de cancer de la prostate suivi sans traitement. La progression vers un stade métastatique d’un cancer clinique non traité est de 11 % à 5 ans et 27,3 % à 8 ans [6]. C’est ainsi que parmi les recommandations concernant la prostatectomie radicale, une espérance de vie supérieure à 15 ans est souhaitée. De même manière, dans l’hypothèse d’une surveillance active, le potentiel évolutif de la maladie doit être pris en compte. Malheureusement, si la diversité des histoires naturelles est reconnue, il existe une très grande difficulté à prévoir les formes agressives et les distinguer des formes indolentes qui pourraientt bénéficier d’une surveillance active. Les études de suivi sans traitement révèlent une survie spécifique à 10 ans comprise entre 83 et 87 % [5, 7]. Ce même résultat est retrouvé dans l’étude randomisée qui compare la prostatectomie radicale versus la surveillance [6]. On peut penser que si la cohorte des patients randomisés dans le bras surveillance avait bénéficié d’une surveillance active, c’est-à-dire s’était vu proposer un traitement en cas d’élévation du taux de PSA, la différence de survie globale et spécifique serait moindre. Par ailleurs, l’analyse de l’étude randomisée montre que le groupe des patients âgés de plus de 65 ans ne bénéficie pas de la prostatectomie radicale, du moins avec un suivi de 10 ans. À ce jour, il n’y pas d’étude randomisée qui permettrait de savoir si la surveillance active est supérieure à la surveillance simple.

¦ Notion de surdiagnostic

Elle est intimement liée à la détection précoce ou au dépistage de masse et prend toute son importance depuis l’utilisation extensive de la mesure du taux de PSA. Deux définitions sont disponibles dans la littérature :

• l’une considère comme surdiagnostic tous les cancers qui n’auraient pas été détectés sans l’aide de la mesure du taux de PSA sérique et qui n’auraient jamais fait parler d’eux ;

• la deuxième, un peu plus large, définit les cancers de prostate surdiagnostiqués comme ceux qui ont été reconnus (par le toucher rectal, le PSA ou autre), mais ne donneraient pas de signe clinique et donc, a fortiori, ne seraient responsables d’aucune morbidité ou mortalité par cancer.

Le choix de la définition est important quand il s’agit de définir l’intervalle latent, c’est-à-dire l’avance au diagnostic, générée par les manoeuvres de dépistage. Il est aussi important quand on essaye de quantifier le pourcentage des patients porteurs d’un cancer indolent. Une modélisation proposée par Draisma [8], à partir d’étude de l’European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer (ERSPC), montre que le taux de surdétection peut varier de 27 à 56 % selon les paramètres de modélisation retenus (Tableau 1).

¦ Critères qui permettent la sélection des candidats à une surveillance active

Ils font l’objet d’un débat, compte tenu de l’absence de critères absolus distinguant les tumeurs indolentes des tumeurs agressives.

Âge
L’âge, ou mieux l’espérance de vie, sont unanimement reconnus comme devant être pris en compte. La durée du suivi est un prédicteur important du risque de mort par cancer [4]. Au-delà de 15 ans, le risque de décès par cancer est multiplié par 3. Ainsi, la prudence (en attendant la découverte de critères prédictifs plus puissants) est de ne pas proposer une surveillance active chez des hommes de moins de 65 ans, c’est-à-dire avec une très longue espérance de vie.

Stade du cancer
Il doit être pris en compte. Aujourd’hui, la plupart des tumeurs sont de stade T1c, rarement T2 (palpable). Même si l’évolution des stades T2 n’est pas véritablement différente de celle des T1c, la tendance est de proposer une surveillance plus active que pour des stades de petits volumes, c’est-à-dire T1c.

Grade de la tumeur
C’est un élément de prédiction important [2, 9]. La présence d’un grade 4 est associée à un risque évolutif multiplié par 16 à 47 ; ainsi, seuls les Gleason 6 ou inférieurs font l’objet d’une proposition de surveillance active.

Étendue du cancer dans les fragments de biopsie
Elle a fait l’objet de nombreuses études qui, toutes, montrent une relation étroite entre le volume de la tumeur et l’importance de l’extension tumorale sur les fragments de biopsie [10]. Pour Stamey, une longueur de cancer inférieure à 3 mm sur l’ensemble des biopsies et un Gleason inférieur à 7 peuvent être considérés comme une tumeur indolente [11]. Pour Epstein, moins de 50 % des fragments envahis par une tumeur n’excèdant pas plus de deux fragments de Gleason 6 doivent être considérés comme une tumeur indolente [12].

Présence d’un envahissement périneural [13] sur les fragments de biopsie
Elle peut être considérée comme un facteur de gravité qui devrait orienter vers un traitement curatif, sans délai.

Densité du PSA supérieure à 0,1
Elle est considérée comme un facteur prédictif d’un volume tumoral important [12]. Le PSA densité a été relié à un risque de décès par cancer plus élevé [14]. Ainsi un PSA densité inférieur à 0,1 est donc fortement recommandé dans les critères d’inclusion d’un homme présentant une surveillance active. Pourcentage de PSA libre inférieur à 20 % Il est, lui aussi, associé à un risque supérieur d’évolution tumorale [15] (Fig. 1).

Pourcentage de PSA libre inférieur à 20 %
Il est, lui aussi, associé à un risque supérieur d’évolution tumorale [15] (Fig. 1).

Variation du taux de PSA dans le temps
La vélocité du PSA est considéré comme un reflet potentiel d’évolutivité des tumeurs [16]. Les patients avec un PSA à vélocité supérieure à 2 ng/ml/an, dans l’année qui précède la prostatectomie radicale, présentent un risque accru de mort par cancer dans les suites.

Le doublement du taux de PSA correspondant à une analyse non linéaire de son évolution serait sans doute plus proche de la biologie des tumeurs, ce qui explique son utilisation comme marqueur d’évolutivité [17].

Cependant, si les variations du taux de PSA dans le temps sont bien reliées à l’évolutivité de la tumeur, il est difficile à utiliser pour deux raisons :

• tout d’abord, les variations du taux de PSA ne sont pas spécifiques de la tumeur et nombreuses sont les variations qui sont la conséquence du contingent de tissu bénin (hypertrophie bénigne de la prostate) ;

• par ailleurs, il est possible que lorsque le PSA varie, du fait d’une évolution tumorale, il soit déjà trop tard et que la tumeur soit déjà dans un état évolutif qui n’est plus compatible avec une surveillance active. Ainsi, plus qu’un critère de sélection, la variation du taux de PSA dans le temps est un critère de suivi et de déclenchement d’une biopsie pour vérifier l’état pathologique de la tumeur.