Guéri !

Un témoignage d’espoir pour tous mes compagnons d’infortune.

Mon cancer de la prostate a été révélé par un PSA de 4,9 le 3 octobre 2018 à 60 ans. Ce n’était pas très haut, mais un peu inquiétant. Comme je n’ai aucun signe d’hypertrophie, j’ai su tout de suite de quoi il s’agissait.
Je me suis souvent demandé s’il y avait eu des signes précurseurs. Un précédent dosage de 2016 donnait un PSA à 2,6. Comme je ne savais pas de quoi il s’agissait, je n’y ai prêté aucune attention. Or, j’ai appris depuis que mon grand-père et mon grand-oncle sont morts de ce cancer. Peut-être aurais-je dû être plus attentif ? La chose curieuse à mon sens, c’est qu’à la même époque, mon sommeil s’est réduit aux acquêts : deux à quatre heures parfois par nuit. Et que ma libido a été plus vive que jamais. Plus tard, j’ai appris que le cancer de la prostate se nourrissait volontiers de testostérone, et j’ai fait le rapprochement. Je me disais que si les cellules cancéreuses avaient besoin de testostérone, la production augmentait automatiquement avec ces effets secondaires. Cependant, les médecins auxquels j’en ai parlé ont écarté ça d’un revers de manche. Ca serait intéressant de savoir, parmi ceux qui liront ce témoignage, si je suis le seul ou si c’est un précurseur réel et fréquent. Dans ce cas, un dosage de testostérone en même temps que le PSA pourrait être un indicateur intéressant.

Mon médecin traitant m’a dirigé vers cabinet d’urologues qui a très bonne réputation à Grenoble, pas loin d’où j’habite, lié à la clinique mutualiste. Leur mode opératoire est « à ciel ouvert », c’est à dire sans assistance robotique. La première visite était assez rassurante : un cancer qui évolue lentement, un PSA encore faible. On a pris plusieurs mois pour les analyses, toucher rectal, scanner, scintigraphie…
Après un coup de blues, j’ai décidé de ne pas m’en préoccuper outre mesure. Certains peuvent appeler cela un « déni », mais pour moi, la maladie était entre les mains de spécialistes, et puisque le protocole était en route, il n’y avait pas de raison de s’en préoccuper outre mesure. De surcroît, j’avais au même moment des problèmes importants au travail, auxquels j’ai décidé de donner la priorité. J’en ai parlé à la famille, à quelques proches pour me soulager, et ça m’a suffit. Mon épouse m’a accompagné à toutes les visites médicales. Chaque fois qu’on a pu, on a ri. La blague qu’on a le plus exploitée est la suivante « Chérie, ce soir j’ai le cancer, tu fais la vaisselle ? » avec tout un tas de variantes.
Je suis passé quand même par des moments de doutes : le boulot, le cancer et les problèmes familiaux avec nos anciens… Je suis allé voir un psychiatre pour qu’il me prescrive des somnifères, mais il n’a rien compris et souhaitait surtout qu’on parle. Il a fini par m’ordonner un truc qui m’abrutissait toute la journée, j’ai laissé tomber après trois jours.
J’ai adhéré à l’Anamacap dont j’ai lu les forums. J’ai aussi dévoré le site du professeur Barré (https://www.cancer-de-la-prostate.fr/) super intéressant. J’ai contacté ce professeur, mais il doit être à la retraite, c’est impossible d’accéder à lui, j’ai toujours eu des intermédiaires, avec un rendez-vous tardif en Belgique dans un immeuble particulier, pas à l’hosto : j’ai laissé tomber.
La biopsie n’est arrivée que mi mars, et là, ça a été plutôt une douche froide : un score de Gleason de 8, qualifié de « très agressif ».
Comme je veux savoir ce que ça veut dire concrètement (si vous ne voulez pas, sautez les deux paragraphes qui viennent), j’ai cherché sur le Net parce que mon urologue n’était vraiment pas clair. J’ai téléchargé une thèse de médecine pour avoir la source des études scientifiques (Jocelyn Susperregui. Influence du score de Gleason des marges positives de prostatectomie radicale sur la survie sans récidive biologique. Médecine humaine et pathologie. 2014. https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01089960). Un tel score est assez rare. Suffisamment pour que l’auteur soit obligé de grouper 8, 9 et 10 pour avoir assez de cas pour une statistique fiable.
Un Gleason de 8, ça veut dire seulement environ 30% de chance de réussite de l’opération sans radiothérapie ni chimio à cinq ans. Ca veut aussi dire des risques réels de décès par propagation aux os à échéance assez courte. J’ai un peu déchanté bien sûr et j’ai commencé à organiser mon équipe au travail pour qu’elle tourne quand je ne serai pas là, sans parler encore de ma maladie. C’est quand même un bon côté de ce cancer : on a le temps de se préparer.

L’urologue de Grenoble voulait opérer tout de suite. J’avais des échéances importantes jusqu’à fin mai, alors j’ai refusé. Il a dit aussi « avec un Gleason de 8, je coupe large ». Ca veut dire en clair qu’il enlève les bandelettes érectiles. J’ai répondu qu’on en discuterait, puis j’ai pris rendez-vous à l’institut mutualiste Montsouris (IMM) à Paris où habitent mes parents, ma sœur et mon fils. L’IMM est super bien classé, et opère par célioscopie avec assistance robot. Par hasard, j’ai été reçu par le chef de service. C’est le premier à m’avoir dit « on est là pour vous guérir, et on va vous guérir ». Il m’a dit aussi « Ce n’est pas moi qui vais vous opérer, mais celui qui le fera est si bon que si je devais me faire opérer moi-même, je n’hésiterais pas une seconde ». Pour la première fois depuis quelques semaines, je me suis senti totalement soulagé. Malgré tout, il voulait aussi m’opérer tout de suite. Je lui ai expliqué que j’avais une échéance importante le 28 mai, il a répondu « d’accord. Alors on vous opère le 29 », ce qui m’a montré l’urgence pour eux de ne plus attendre.

Pour en avoir le cœur net, j’ai aussi pris un rendez-vous à Nantes, où il y a la meilleure clinique urologique de France. J’ai dit au chirurgien : « ce n’est pas vous qui m’opèrerez, alors dites moi la vérité : quelle méthode est préférable ? ».
Il a éclaté de rire : « J’ai opéré plus de mille patients à ciel ouvert, et plus de mille cinq cents par assistance robot. Il n’y a pas photo : c’est la deuxième solution qu’il faut choisir. Tout est plus doux (en parlant, il mimait les gestes), on peut aller au plus près, et on est devant un écran grand comme ça (il a montré des mains un très grand écran) où on voit votre prostate en très gros plan et avec une vision à plusieurs dimensions impossible à avoir à l’œil nu. Evidemment, il faut un bon chirurgien sinon ça ne sert à rien, mais ils sont excellents à l’IMM ». Il m’a dit aussi « le but de ma vie, c’est de guérir des malades. Si j’avais plus de réussite à ciel ouvert, je reviendrais en arrière. Mais ce n’est pas le cas ». Enfin, à ma grande surprise, il a conclut « ici, on avait le pape des opérations à ciel ouvert, le Professeur Barré. Mais même sa technique est maintenant dépassée par l’assistance robot ».
Je lui ai demandé si je mettais ma vie en danger en attendant fin mai. Il m’a répondu « non, mais il faut se faire opérer avant l’été, sinon … » et il n’a pas fini sa phrase.

J’ai donc pris ma décision. Je suis allé voir le professeur qui devait m’opérer, qui m’a reçu de façon très humaine. Je lui ai dit que ma vie sexuelle me satisfaisait et que j’aimerais que dans la mesure du possible il préserve mes bandelettes érectiles. Il a tout de suite acquiescé avec une grande écoute. Je lui ai demandé une ordonnance pour de la kiné pré-opératoire.

Dans de telles mains, et avec le support de ma famille et de mes amis, je n’ai jamais ressenti de panique, ni par exemple d’urgence à faire l’amour frénétiquement tant que je le pouvais.

J’ai été opéré le 29 mai 2019 et je suis resté quatre jours à l’hôpital. Le chirurgien a pu préserver les bandelettes érectiles sur un côté, laissant pas mal d’espoir pour le futur. Je ne peux pas dire que le drain urinaire qu’on nous met soit une partie de plaisir. C’est même plutôt douloureux surtout après quelques jours, quand ma verge tuméfiée et fiévreuse avait grossi hors de toutes proportions. Mais ça n’empêche pas de marcher, d’aller prendre un café, de sortir regarder la vie sur un banc et lire le journal. Et puis ça m’a permis de faire la course avec mon père de 90 ans et de la perdre.
Je redoutais le moment de l’ablation du drain, mais ça ne fait pas plus mal que de se frotter le bras sur un mur un peu rugueux. Par contre, dès que ça a été enlevé, l’incontinence a commencé, assez éruptive ou plutôt, comme une cascade. Je ne sentais rien là dedans, impossible de contrôler quoi que ce soit. Très déprimant.
Rapidement, j’ai pesé mes couches puis, dès que j’ai pu changer, mes simples protections (aller au rayon « fuites urinaires » au supermarché), et en cinq semaines, les pertes ont été divisées par sept. Aujourd’hui après six semaines, si je ne bouge pas trop, je n’ai besoin que d’une protection par jour. Il semble, d’après les sites, que la méthode par célioscopie soit moins invasive de ce point de vue.
Après quelques semaines, j’ai aussi retrouvé une forte libido. Mais à dire vrai, j’ai l’impression d’avoir une limace à la place du pénis. Là encore, on arrive à en rire en couple, c’est plutôt décomplexant.

Dès que j’ai été débarrassé du drain urinaire, j’ai fait plusieurs choses :
– J’ai tout de suite fait un peu de sport en montant et descendant les marches à la maison tout en faisant mes exercices de kiné. J’arrivais à faire 300 m de dénivelée les bons jours.
– Je suis allé voir un naturopathe qui m’a mis à un régime « Seignalet » sans sucre, sans gluten et avec des produits cuits à basse température. Mon but était de préparer la radiothérapie, dont j’étais sûr qu’elle allait avoir lieu.
– Je me suis remis sérieusement à l’autohypnose, que j’avais un peu pratiquée avant. C’est super bien, ça aide à se détendre, à ne pas se faire du souci, à se réparer de l’intérieur, à penser à soi, et c’est très facile à faire avec un bon bouquin. Honnêtement, faites-le, si possible dès avant l’opération.
– J’ai vu et correspondu avec plein de potes. On a parlé de plein de choses, pas seulement de la maladie. Puisque j’avais le temps, j’en ai profité.
– J’ai un boulot intellectuel que j’aime bien : je me suis remis à bosser tranquillement (4h par jour en moyenne) dès le dixième jour. Pas de réunion, pas de voyage, juste du bonheur tranquille à la maison.
– Dès que j’ai pu, j’ai recommencé à faire du petit bricolage à la maison, et du jardin (tondre, etc.)
– Et j’ai découvert les joies de la sieste. Une le matin, une l’après-midi…

Le rendez-vous avec le chirurgien pour envisager la suite était le 11 juillet. Juste avant, mon PSA était indétectable ! Mais ma testostérone trop élevée, ce qui m’inquiétait beaucoup, mais expliquait ma libido effrénée et le fait que je dormais de nouveau 4 à 5 heures par nuit. J’étais sûr en arrivant à l’hôpital que ça signifiait un redémarrage du cancer comme en 2016, avec radiothérapie rapide. Le chirurgien m’a accueilli avec un sourire radieux : tout va bien, c’est fini. Il n’y a aucune marque de cancer à la surface de la prostate (la prostate s’appelle une pièce opératoire après l’ablation, et une marque de cancer s’appelle une marge positive), et aucune cellule cancéreuse dans les 27 ganglions que j’ai retirés. La testostérone ? C’est inquiétant si elle est trop basse, mais aucun problème si elle est trop élevée. Il a même plaisanté, lui qui a à peine 40 ans : « si ça se trouve, vous en avez même plus que moi ! ». Il était sincèrement heureux de m’annoncer une si bonne nouvelle, et je pense légitimement fier d’avoir réussi ce tour de force. J’avais apporté un cadeau pour le remercier, et je n’ai jamais été aussi content d’offrir quelque chose.

Bon, les suites de l’opération :
– L’incontinence est une grande leçon d’humilité. En parler avec ma femme est un soulagement, on peut aussi en rire. Le fait de peser les protections, de chronométrer la durée de mes mictions et leur fréquence est une aide précieuse parce que je « vois » mes progrès. Mon chirurgien m’a encouragé, il m’a dit qu’après seulement six semaines, c’était fantastique. Ca donne un super moral. La kiné est également d’une grande aide, elle m’apprend à respirer, à contracter le périnée à bon escient pour ne pas avoir de fuite en me levant. Elle me donne des conseils « arrêtez les couches, passez aux protections » ou « enlevez les protections pour dormir » (un grand moment de solitude). Ca peut durer quelques semaines ou quelques mois, mais ça s’arrêtera pour tous. Parmi les leçons de modestie, il y a les gaz. Depuis l’opération, j’en ai beaucoup. Peut-être que je perds doucement tout ceux qu’ils m’ont injectés, ou est-ce l’alimentation, ou la conséquence de la remise en forme à l’intérieur du ventre ? En tous les cas, chaque pet est un pari sur la fuite, chaque réussite un triomphe à la hauteur d’une victoire d’étape dans le tour de France (c’est l’époque du tour alors je ne trouve pas de meilleure comparaison).
Au début, je me demandais ce qui ferait que ça redeviendrait normal. Mon chirurgien a accepté de répondre à mes mails angoissés : l’opération provoque des hématomes internes qui font qu’on n’a plus de sensation, mais les hématomes se résorbent et les sensations reviennent. Comme la configuration interne a changé, il faut aussi ré-apprendre à sentir ce qui s’y passe, et bouleverser 61 ans d’habitudes.
– L’impuissance est très frustrante, surtout avec une libido intacte. Une amie m’a dit qu’être malade, c’est accepter ses renoncements. J’apprends, je n’ai guère le choix. Bientôt, je vais pouvoir tester les médocs, les pommades. Peut-être les piqures dans la verge. J’ai un peu d’angoisse pour ça, mais j’ai lu le livre « Le sexe de l’homme » du Docteur Virag qui a inventé cette méthode, et ce qu’il y raconte est super encourageant. J’espère que tout se passera bien.

J’arrive au bout de ce témoignage. Vous pouvez me contacter si vous le souhaitez (jean38 via le forum). C’est (encore un peu) une épreuve, mais quand elle sera passée, je ne pourrai peut-être même pas l’évoquer comme un mauvais souvenir. J’ai beaucoup appris de mes amis, de ma famille, et de leur formidable humanité. En retour, j’ai aussi appris sur moi, et c’est assez chouette d’avoir eu le temps pour ça.
Dites vous que même avec un Gleason élevé, le pire n’est pas certain, que la radiothérapie et la chimio ne sont pas une fatalité. Et si votre Gleason est plus faible que 8, alors ce qui s’est produit pour moi a de fortes chances de se produire pour vous : vous allez être guéri (les praticiens n’utilisent pas ce mot, mais pour moi, une rémission de plusieurs années, c’est comme une guérison).

Avant de finir, voici mes conseils si vous venez d’apprendre que vous avez un cancer de la prostate :
– Faites de la kiné avant l’opération, quoiqu’en dise votre chirurgien ou votre médecin traitant. C’est super important, ça vous prépare à la suite. Demandez lui une ordonnance dans le cadre des maladies exonérantes dès que la déclaration a été faite à la sécu, ça sera pris en charge à 100%. Le chirurgien conseille de recommencer au plus tôt trois semaines après l’opération. Moi, j’ai repris tout seul à la maison après dix jours et ma kiné dit qu’on devrait redémarrer dès qu’on peut marcher, comme les femmes qui viennent d’accoucher. Elle dit qu’on ne peut rien se casser à l’intérieur.
– Choisissez votre chirurgien et votre méthode opératoire. Ne vous laissez ouvrir que par quelqu’un en qui vous avez une confiance totale : c’est votre prostate, votre pénis, votre vessie, pas la leur. Ne vous laissez pas imposer des choix par argument d’autorité. Si vous avez une conjointe ou un conjoint, faites-vous accompagner par elle ou lui : c’est fou tout ce que ma femme entendait que j’occultais totalement.
– Faites un régime alimentaire avant l’opération (donc pas comme moi. Je regrette de ne pas y avoir pensé avant) : vous serez plus en forme et votre cancer le sera beaucoup moins si vous ne lui donnez pas de sucre. Vos intestins supporteront bien mieux l’opération s’ils n’ont pas de gluten depuis un moment.
– Faites une activité de méditation (il y en a plein, respiration profonde, auto-hypnose, méditation …) qui vous aide à vous calmer et à trouver de la force avant l’opération, pas comme moi qui en a eu les bénéfices seulement après.
– Un autre conseil qui peut paraître très bizarre : dès que vous savez que vous avez un cancer de la prostate, chronométrez vos mictions. Je l’ai fait, ça me permet de voir à quel point j’en suis après l’opération, par rapport à avant, et c’est super encourageant de voir qu’après plus de vingt mictions de quelques gouttes par jour, j’arrive peu à peu à retrouver des vrais envies un peu longues qui se rapprochent progressivement d’avant (je vous jure que ressentir l’envie de faire pipi, ça devient très chouette et faire pipi plus de dix secondes d’affilée devient une grande victoire).
– Sans l’avoir anticipé, une opération fin mai début juin est idéale, parce qu’on peut appuyer son congé maladie sur les congés annuels. Ca fait un temps long pour vraiment se remettre. Si vous pouvez choisir la date, je vous conseille de faire ça.

par Jean38@Lil
17 juillet 2019