Trois mois plus tard

Trois mois plus tard. Les séquelles, les désagréments, et notre prise en charge

Bonjour

Où j’en suis trois mois après la prostatectomie ? J’ai décidé de rédiger une nouvelle lettre pour mes compagnons d’infortune.

J’ai rapidement repris la kiné. Mon urologue m’a dit d’attendre au moins six semaines. Je ne l’ai pas écouté. Ma kiné insistait qu’on ne peut rien se déchirer dans le ventre, que c’est important de commencer le plus vite possible. Pour me convaincre, elle m’a parlé des femmes qui viennent d’accoucher : ce qu’elles ont vécu est également un bouleversement interne important, et on les fait se lever dès le lendemain. On leur recommande aujourd’hui de faire de la kiné postpartum le plus vite possible. Je pense qu’elle a raison. En tous les cas, mes fuites urinaires ont chuté drastiquement. Comme je pesais mes couches, j’ai pu les tracer, c’est bien de « voir » la descente.

Je continue encore chaque jour mes exercices : durcir le périnée devant (comme si on se retenait de faire pipi), au milieu, derrière (comme si on se retenait de faire caca), passer de l’un à l’autre, remonter son ventre vers le sternum, … Maintenant, j’en suis à passer des journées sans fuite et il m’arrive de réutiliser les protections pendant deux jours juste pour la fierté d’y être arrivé. J’utilise les plus fines, elles ne se voient vraiment pas de l’extérieur.

Apprendre à maîtriser ce corps nouveau est même assez amusant. Il faut redécouvrir des sensations, après soixante années d’habitudes. Avoir envie de faire pipi ne se manifeste pas pareil. Ca prend plus haut, plus à l’intérieur du corps. Pendant plusieurs semaines, j’avais la sensation que ma vessie ne se vidait jamais. Puis j’ai remarqué qu’en me levant à la fin de mes miction (je fais presque toujours pipi assis sur mon siège), le reliquat contenu dans des poches internes quelque part se vide de lui-même. Ca peut paraître un peu ridicule, mais ça m’a apporté un grand soulagement et ma vie est devenue, de ce côté là, presque normale. Il faut que j’aille un peu plus souvent aux toilettes, voilà tout. Surtout, ce qui est agréable, c’est que je n’ai plus aucune fuite la nuit, et que je n’ai plus besoin de me relever.
Mon corps a changé un peu. Le triangle qui va du pénis au bas du nombril est devenu plus mou, un peu affaissé. Ce n’est ni bien ni mal, c’est étrange.

Côté sexe, ce n’est pas aussi réjouissant. J’ai tout de suite récupéré une libido normale. Mais pour la pratique, ce n’est pas ça… J’ai compris que la gravité est importante. Debout, mon pénis a une taille normale. Dès que je suis allongé, surtout sur le dos, il prend la taille qu’il devait avoir quand j’avais dix ans, et ce ne sont pas les efforts de ma compagne qui y font quelque chose. Comme si tout le sang s’enfonçait dans mon corps, incapable d’irriguer le pénis. Ou comme si il n’y avait pas de clapet anti-retour pour le garder dans les corps caverneux. Le chirurgien a coupé les bandelettes érectiles d’un côté, et les a préservées de l’autre. Mais je ne vois pas bien si ça sert à quelque chose.
J’ai essayé le tadalafil, qui est le médicament générique du cialis. Un comprimé tous les deux jours qui a vocation à décontracter quelque chose là dedans (je n’ai pas tout compris) pour permettre une érection facile. C’et comme de la poudre de perlimpinpin mais en beaucoup plus cher : aucun effet. J’ai aussi essayé le vitaros. C’est un peu impressionnant la première fois : il faut faire pénétrer une faible quantité d’un produit dans l’urètre au moyen d’une seringue en plastique. Heureusement, on ne rentre pas l’embout de la seringue dans l’urètre ! Mais ça demande une certaine pratique. La première fois, je me suis entraîné quand mon épouse était absente.
Là encore, l’effet a été nul. Sauf qu’après, je ressens une forme de douleur dans le pénis pendant quelques heures. Ca ne fait pas mal à proprement parler : c’est comme quand je faisais trop souvent l’amour de façon rapprochée avant, le sexe fatigué, chaud, lourd. Voilà, ça ressemble à ça. Pas tout à fait l’effet escompté.

Le plus étrange est ceci : J’ai lu souvent que les gens à qui on a coupé la main ont des sensations dans les doigts absents. Pour moi, c’est exactement comme ça. J’ai souvent l’impression d’avoir une érection puissante, et quand je touche, je trouve un vermicelle.

L’urologue m’avait dit qu’il y a plusieurs fonctions sexuelles pour le pénis : l’érection, la pénétration, l’éjaculation l’orgasme. Et que la dernière serait conservée. C’est vraiment très étrange en effet. Lorsque nous nous caressons – et croyez moi, ma belle a un mérite formidable à le faire sans être rebutée par des possibles fuites urinaires que je redoute toujours, et à exercer sa patience sur mon petit membre mou – il arrive un moment où c’est comme avant quand j’allais éjaculer. Sauf que je n’éjacule pas, je me contracte, mon membre a quelques soubresauts, il y a une forme de petit plaisir furtif qui me laisse exsangue ensuite, comme c’était le cas avant l’opération. C’est peut-être ça qu’ils appellent « orgasme ». Moi, je trouve ça bien faible par rapport à ce que je ressentais avant, et frustrant. Je me demande si tous les hommes vivent la même chose. Mais où trouver l’info ? Personne n’en parle !

Alors voilà, mes réflexions deviennent politiques.
Il y a quelques semaines dans Libération, il y avait une double page sur l’accompagnement des femmes qui ont subit une mastectomie pour un cancer du sein. Il y a plein de choses, des accompagnements psychologiques, des activités ensemble (une rando en montagne du côté de Chamonix), des discussions… Les suites opératoires comme la pose de prothèse sont intégralement remboursées par la sécurité sociale. On lit partout des phrases du genre « L’ablation du sein est toujours une épreuve physique et psychique importante. Si l’opération en elle-même est relativement courte, les suites opératoires et la convalescence peuvent être difficiles ».
Moi, je me dis que ce qui nous arrive est peut-être plus difficile encore. Mais que nous sommes dans une société tellement patriarcale qu’on ne le montre pas, qu’on n’en parle pas. Un homme, c’est fier et si c’est impuissant, ça le cache… J’ai demandé s’il y avait un accompagnement psychologique là où je me suis fait opérer à Paris : seulement pour les femmes. Et à Grenoble, où je vis, on m’a proposé de venir chercher des brochures.
Des brochures !!!
Ils doivent nous prendre pour des débiles mentaux ?

Résultat ?
Le Cialis est à 150 € la boîte, et le tadalafil que j’utilise à 49. Et ce pour un mois en économisant : un demi comprimé tous les deux jours. Une dose de vitaros coûte environ 10 € remboursée à 30%. Faire l’amour devient un luxe financier plus cher que l’addiction à la clope… Comment font ceux qui n’ont pas d’argent ? Pourquoi n’est-ce pas remboursé par la sécurité sociale ? La pharmacienne m’a dit : « c’est considéré comme un médicament de confort ». De confort !!! Faire l’amour est un confort ??? Les femmes sont moins bêtes que nous. Elles, elles se sont battues pour que retrouver un corps dont elles soient contentes ne soit pas qualifié de « confort ».

L’autre chose, c’est cette incroyable solitude. Je n’ai pu avoir un rendez-vous avec un urologue à Grenoble que fin octobre (on est en septembre) et en novembre à Paris pour en parler. A qui je peux demander si j’aurai de nouveau une érection ? Ou s’il faut changer de médicament ? Même avec mon médecin traitant c’est impossible : il n’y connaît rien, et visiblement, ça le met super mal à l’aise d’en parler. Alors ça donne lieu à tout un tas de marchands de médecine, de conseils payants. Je n’ai pas testé, je refuse ce marché de la misère sexuelle, et j’en veux à notre système de santé qui laisse faire ça.

Plus encore, je me revois dans la salle de bain essayer en tremblant de me rentrer ce vitaros dans l’urètre. Combien de dizaines de milliers avons-nous été à vivre ces moments d’angoisse ? Et j’ose à peine imaginer ce qu’il en sera quand, bientôt, je devrai m’entraîner tout seul à une injection intra-caverneuse d’edex (15 € l’injection !). Pourquoi n’avons-nous pas, comme les femmes, des lieux pour en parler avec un spécialiste ? Des infirmiers pour nous aider la première fois ?
La seule réponse que je trouve, c’est : « parce que nous sommes trop cons, trop machos ». Et tant qu’on ne le réclame pas, pourquoi la sécurité sociale aggraverait-elle son trou budgétaire pour ça ?

Est-ce que l’Anamacap pourrait prendre ces sujets à bras le corps ? Avons-nous la possibilité de lancer une pétition sur ces revendications là ? Qu’en pensent ceux qui me lisent ?

Et cela amène d’autres réflexions. Surtout aujourd’hui où on débat de la Procréation Médicalement Assistée, de la Gestation Pour Autruit, de la responsabilité légale du don de sperme et de la congélation des ovocytes pour les femmes. Cette dernière est un acte médical lourd (ma fille l’a eut), qui demande plusieurs sessions à l’hôpital, et totalement remboursé par la sécurité sociale. Qu’en est-il de nous ?
Mon urologue de Grenoble m’a demandé, avant l’opération « vous ne pourrez plus éjaculer. Mais je suppose que vous ne voulez plus d’enfant ? ». Il souriait paternellement et ma femme et moi, comme des imbéciles, avons répondu « non bien sûr ». La question est totalement infondée. En quoi cela le regarde-t-il ? La seule question qui vaille est « souhaitez-vous que nous congelions de votre sperme avant l’opération ? ». Pour nous, il s’agit d’un acte sans intervention médicale, qui dure cinq minutes et ne coûte pas grand chose : un tube à essais avec la bonne étiquette dessus dans un frigo. Pourquoi ne le propose-t-on pas systématiquement ? Et si demain je me séparais de ma femme et me mettais en ménage avec une femme plus jeune avec laquelle nous souhaitons un enfant ? En quoi cela regarderait-il le corps médical ?
Peut-être que la question de la congélation de sperme est posée à un prostatique de cinquante ans, ou plus jeune ? Dans ce cas, de quel droit les chirurgiens décident-ils de l’âge à partir duquel on est censés ne plus avoir d’enfant ?
Là encore, ce n’est pas la sécu ni les médecins qui sont le plus à accuser, mais nous-mêmes, les hommes atteints de cancer de la prostate. Parce que nous ne parlons pas de sexe, de notre honte à ne plus pouvoir… Nous ne nous organisons pas, nous ne revendiquons pas ce qui, pour les femmes, tient tout simplement du droit.

Voilà pour le sexe. Pour le sport, ça revient. Je refais de longues randonnées en montagne. J’ai parfois des fuites urinaires au moment de remettre mon sac à dos, et la descente se termine souvent en bérézina, mais je peux gravir de nouveau des sommets et c’est le bonheur.
C’est plus difficile en vélo. J’ai la sensation de n’avoir plus de suspension dans le ventre, je ne trouve pas d’autre image. Alors le moindre cahot sur la route résonne là dedans et au bout d’un moment, c’est très désagréable. Je peux aller au boulot en vélo, mais quand on a fait des randonnées, je n’ai pas aimé. C’est peut-être un peut tôt.
Pour tout le reste, c’est comme avant. Mes collègues me félicitent de ma bonne mine. J’ai décidé que ces séquelles décrites plus haut ne sont que des désagréments, et que la rémission est une guérison, ça m’aide beaucoup de considérer les choses comme ça.

Je vous souhaite à tous bon courage. J’espère que les générations à venir seront moins bêtes que nous.

Jean

 

Informations complémentaires de l’ANAMACaP : Bonjour Monsieur, merci pour votre témoignage très descriptif que nous allons reporter aux membres de notre association qui s’intéressent particulièrement au suivi après traitement ainsi qu’à des spécialistes. Pour les problèmes de dysfonction érectile, vous pouvez consulter un urologue spécialisé en andrologie ou un sexologue. Pour information, il existe depuis 2/3 ans un générique du viagra moins onéreux. Le vacuum peut également être une alternative. D’ailleurs, les anneaux utilisés avec cet appareil permettent de conserver les érections, cela pourrait peut-être vous permettre de résoudre votre problème lorsque vous êtes allongé et votre crainte de la fuite pendant le rapport. Lorsque vous faites du vélo, vous pouvez peut-être tester les étuis péniens/systèmes collecteurs, pris en charge sur prescription médicale. Pour un soutien psychologique, l’Institut National du Cancer et la Ligue contre le Cancer disposent d’une ligne téléphonique gratuite et anonyme avec des psychologues professionnels. N’hésitez pas à joindre notre permanence téléphonique au 05.56.65.13.25 pour tout échange. Cordialement. ANAMACaP

par Jean_38
16 septembre 2019