Voyage en terre inconnue : Chronique d’un guerrier malgré lui.

Prémonition
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Je ne suis pas superstitieux en général mais méfiant. Ma devise préférée étant « Prévoir le pire pour vivre le meilleur » je la mets en application dès que nécessaire. C’est ainsi qu’en avril 2022 je consulte mon médecin traitant pour partager mes craintes concernant ma santé, compte tenu de mon âge (62 ans à l’époque) et des nombreux cas de cancer parmi mes collègues de travail. Il me propose quelques tests pour vérifier la santé de mes artères, en plus de mon analyse de sang annuelle. Fin mai 2022, confiant, je retourne le voir avec tous mes résultats négatifs en poche. Le médecin les parcourt rapidement, et au lieu de terminer par son habituel « c’est parfait, à l’année prochaine », il lève un sourcil surpris en regardant mon taux de PSA, passé de 3,8 à 4,5 en un an. Ce praticien perspicace me demande alors de passer une IRM et de prendre rendez-vous chez un urologue. À cet instant, je suis loin de me douter du gouffre dans lequel je viens de plonger.

Ce n’est pas si grave
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Avec les résultats positifs de mon IRM en main, je consulte un urologue qui me rassure en expliquant qu’à ce stade, il n’y a pas lieu de s’affoler. Le cancer de la prostate progresse lentement, et le mien pourrait ne pas être très préoccupant. Cependant, il me suggère de procéder à une biopsie pour en avoir le cœur net. Puisque rien ne presse, j’ai l’autorisation de la reporter en septembre après mes congés. Je vous épargne les péripéties pour prendre rendez-vous au laboratoire en vue de la biopsie, mais finalement, celle-ci n’est programmée qu’en octobre.

Ça ne fait même pas mal
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Le jour de la biopsie, le médecin m’assure qu’il va procéder à une anesthésie locale et que je ne ressentirai rien. Ironie du sort, pour chaque perforation de l’aiguille je garde en mémoire la vive sensation dans l’intimité de mon corps. La douleur était tout simplement insoutenable, et le praticien, visiblement désolé, se sent obligé de préciser que je fais partie des 20% pour qui l’anesthésie ne fonctionne pas. Je vous avais bien dit de prévoir le pire, n’est-ce pas ?

En fait si, ça commence à être grave
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Quelques semaines plus tard, lors de ma nouvelle visite chez l’urologue, je lui fais part de l’épreuve que j’ai vécue lors de l’examen de la biopsie, ainsi que de mon étonnement de ne pas avoir reçu les résultats. Il me répond : « C’est normal, les laboratoires préfèrent éviter de prendre le risque d’annoncer de mauvaises nouvelles directement. Cependant, dans votre cas, vous êtes bel et bien atteint d’un cancer de la prostate de gravité moyenne (Grade 3) qui nécessitera une prostatectomie radicale. » Eh bien, au moins, il a pris le soin de me l’annoncer de vive voix, avec plus de compassion qu’un simple e-mail ! « Ne vous inquiétez pas, je m’occupe de tout et l’hôpital vous contactera directement », a-t-il ajouté.

En attendant, l’urologue me demande de passer un scanner et une scintigraphie osseuse, qui se révèlent tous deux négatifs. À ce sujet, lorsque la radiologue m’a montré les images de la région abdominale sur son ordinateur pour me prouver que je n’avais rien, j’ai été tenté de lui demander ce qu’elle voyait concernant ma prostate, le foyer de mon cancer. Sa réponse m’a étonné, je dois dire : « Je ne vois rien, monsieur. La définition de l’image est insuffisante pour distinguer les détails de votre prostate. » Dans ce cas, à quoi cela sert-il si un cancer avéré n’est même pas visible ?

Je pars confiant
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Contacté très rapidement par l’institut hospitalier, je me rends chez le chirurgien qui prend le temps de m’expliquer en détail l’opération robotisée et ses conséquences. Basé sur les résultats de la biopsie, le praticien, assisté de son fidèle ordinateur, confirme que l’ablation des ganglions sera également nécessaire, et peut-être même l’une des fameuses bandelettes qui jouent un rôle crucial dans l’érection. Mais bon, honnêtement, après avoir visionné toutes ces vidéos sur YouTube, je sais déjà à quoi m’attendre. La date de l’opération est fixée au 16 janvier 2023, de sorte que je puisse profiter sereinement de mon dernier Noël en famille.

J’angoisse quand même
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Quelques jours avant l’opération une irruption cutanée sur le front m’angoisse. En désespoir de cause j’appelle SOS médecin qui diagnostique un Zona (tu m’étonnes !). Afin de vérifier que les yeux ne sont pas atteints, je prends un rendez-vous en urgence chez l’ophtalmo qui, par chance, dispose de créneaux libres. Je n’ai rien aux yeux. Ouf, je serai prêt pour le jour J, le chirurgien ayant confirmé que le zona n’était pas une contrindication pour l’opération.

On est bien à l’hôpital finalement
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Hôpital moderne, personnel compétent, chambre particulière, infirmières attentives, on se sent bien finalement à l’hôpital ! Le robot et le chirurgien ont fait le maximum et ce qui devait être fait a été accompli. Je n’ai donc plus de prostate ni une de mes bandelettes. Le chirurgien, un peu timide ou réservé, m’annonce cela rapidement mais je remarque une certaine inquiétude dans ses paroles lorsqu’il mentionne que l’un de mes ganglions était atteint. Puis, il retourne à ses occupations du jour. Pour ma part, je ne réalise pas encore pleinement les conséquences de ce qu’il vient de me dire.

Deux jours plus tard, l’urologue de l’hôpital passe me voir et, satisfait de mon état, annonce avec enthousiasme : « Tout va bien, monsieur, nous allons donc vous laisser sortir aujourd’hui. » Honnêtement, j’aurais bien aimé rester encore quelques jours de plus ! Ainsi, titubant légèrement, avec la sonde urinaire solidement fixée à ma jambe droite, je monte dans le taxi avec ma compagne, prêt à rentrer chez moi.

Cette fichue sonde urinaire
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Les jours qui suivent, je passe beaucoup de temps à dormir, malgré les douleurs persistantes. Je ne me prive pas du traitement à base de morphine qui me transporte sur un petit nuage. Cependant, l’appréhension grandit à l’approche du retrait de la sonde urinaire, prévu quelques jours plus tard. Heureusement, l’infirmière chargée de mes soins quotidiens et de ma piqûre d’anticoagulant, retire la sonde sans aucune douleur (bénies soient les infirmières). Enfin libre de ce fardeau, je me surprends déjà à rêver de retourner courir dans les bois.

Ah zut, ce n’est pas fini !
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Comme prévu, un mois après l’opération, j’ai rendez-vous avec l’urologue de l’hôpital. Je me présente avec le nouveau résultat de mon PSA, qui affiche un taux de 0,1 que je considère comme excellent. Du moins, c’est ce que j’ai appris grâce aux réseaux sociaux.

Malheureusement, le médecin ne partage pas mon optimisme. Il m’annonce que l’analyse détaillée de ma prostate révèle un niveau d’agressivité très élevé (grade 5). Son avis est donc réservé, et une décision doit être prise lors d’une réunion interdisciplinaire pour déterminer si un suivi du PSA est suffisant ou si je dois passer à l’étape suivante du processus. Ma conjointe, qui m’accompagne, est effondrée. Et moi aussi ! Le lendemain, un appel compatissant m’informe que le comité a décidé que je devais suivre un traitement supplémentaire de radiothérapie et d’hormonothérapie. Une fois de plus, l’hôpital prend en charge toutes les démarches, et je serai directement contacté par le centre de radiothérapie.

Mon sexe aux abonnés absents
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Entre-temps, les effets indésirables de l’opération ont continué à se manifester, générant leur lot de désagréments. Les douleurs persistent pendant plusieurs semaines, au point que je dois m’arrêter de travailler pendant 6 semaines. Je suis contraint d’abandonner le vélo (j’en ai profité pour m’offrir une trottinette électrique) et la course à pied. De plus, l’impact sur ma sexualité est quasi anéantissant. L’expression « vide sidéral » prend tout son sens à ce moment-là, et je réalise que résoudre ce problème n’est pas à portée de main 😉 À ce stade, je suis profondément reconnaissant envers ma conjointe, car elle aura besoin d’une grande dose d’amour pour m’accompagner dans cette épreuve.

Marie Curie ma bienfaitrice
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Après des semaines d’attente angoissée, le centre de radiothérapie me contacte enfin pour fixer un rendez-vous avec le radiothérapeute. Pour lui, il ne fait aucun doute que je dois suivre le traitement proposé. Tous mes espoirs de m’en sortir sans passer par cette étape s’envolent définitivement. Je nourrissais encore l’espoir qu’on me dise que, finalement, après une réflexion approfondie, mon cas ne nécessitait qu’une simple surveillance à long terme.

De nouveaux examens sont programmés : IRM, PET Scan et densitométrie osseuse. Et puisqu’on y est, autant y aller à fond : l’IRM révèle un nodule jusqu’alors insoupçonné, qui semble appeler des rayons plus proches du sabre laser de « Star Wars » que de la simple lampe de poche.

Voilà où j’en suis
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Nous voici début juin 2023, plus d’un an s’est écoulé depuis que j’ai entamé ce processus infernal. J’attends toujours l’appel du centre de radiothérapie pour le début de mon traitement : 33 séances de radiothérapie et 2 ans d’hormonothérapie. J’ai déjà passé le scanner de repérage et je suis maintenant tatoué (comme tous les jeunes) afin de localiser précisément les zones à irradier.

Cette année, mes projets de vacances sont sérieusement compromis et il semble que je ne remonterai pas de sitôt sur mon fidèle vélo !

À suivre…

par Didier
12 juin 2023