Le cancer de la prostate est le 1er cancer de l’homme en France en termes d’incidence et le 2ème en termes de mortalité. De 1990 à 2005, les nouveaux cas diagnostiqués chaque année sont passés de 20.000 à 50.000 et les morts de 9.000 à 10.000, soit le double des tués par accident de la route. Cette mortalité interpelle en raison des incontestables progrès observés dans les traitements des cancers localisés de la prostate, grâce aux avancées de la chirurgie (coelioscopie – robotique – etc…), de la radiothérapie (3D conformationelle – IMRT) et des traitements combinés (hormonothérapie – chimiothérapie – radiothérapie – chirurgie) ou spéciaux (curiethérapie – HIFU – hormonothérapie intermittente).

L’interpellation est encore plus grande lorsque l’on constate que des opérations de dépistage semblent être à l’origine d’une chute du taux de mortalité du cancer de la prostate, que ce soit aux USA (25%), en Autriche (50%) ou à Québec (67%).
On sait maintenant que la principale raison de l’explosion de ce cancer est l’âge moyen de la société qui ne cesse d’augmenter. Cette inflation va trouver son pic vers 2015, lorsque les enfants du baby boom de la 2ème guerre mondiale vont approcher des 70 ans. Nous pensons qu’il est de notre devoir de limiter l’incidence de cette quasi-épidémie par des moyens de prévention, et surtout d’arrêter l’augmentation du taux de mortalité en privilégiant de meilleurs traitements et en évitant les cancers avancés par des politiques de dépistage.

Travailler dans plusieurs directions

FAQ sur le nouveau paradigme

D’abord, nous devons réaliser que si les 10 000 Français qui meurent chaque année du cancer de la prostate, avaient été dépistés, diagnostiqués et traités à temps, ils ne seraient pour la plupart pas morts. Pourquoi ? Parce que le détection précoce du cancer de la prostate permet d’éviter les cancers avancés et/ou métastasés par des traitements curateurs des cancers localisés. Comment pouvons-nous détecter cette maladie à un stade précoce ?

Le meilleur outil actuellement est le dépistage par le test PSA. Comme tous les autres tests de dépistage, ce test n’est pas parfait. Sa spécificité est discutée : au niveau de 4 ng/mL, 75% des patients n’ont pas de tumeur révélée par la biopsie. Mais si l’on accompagne la donnée brute du PSA, par les autres paramètres que sont le PSA libre, la densité du PSA, la vélocité du PSA et un cut-off plus bas (2,2 ng/mL), la spécificité comme la sensibilité seront nettement améliorés et on peut raisonnablement penser qu’un tel dépistage peut sauver de nombreuses vies. Tous les pays où une politique de dépistage a été initiée ont démontré une diminution spectaculaire du taux de mortalité. Cependant, les scientifiques trouveront toujours des critiques à formuler puisqu’il est impossible d’écarter les défections de volontaires dans les groupes de contrôle des essais cliniques. D’un autre côté, d’autres critiques avancent que le dépistage induit les effets secondaires (impuissance, incontinence) de traitements injustifiés (prostatectomie, radiothérapie) durant la période d’indolence de la maladie.

Ainsi, parce que nous commettons des erreurs dans le traitement de la maladie (sur-traitement de cancers indolents le plus souvent par prostatectomie), nous devrions commettre d’autres erreurs à l’entrée de la maladie ?! (Pas d’information, pas de dépistage). En réalité, il s’agit d’un amalgame entre de mauvaises pratiques de traitement et de bonnes pratiques d’informations avancé par les adversaires du dépistage. De nombreuses études démontrent une relation évidente entre le PSA et le cancer de la prostate. Cependant, la plupart de ces études font démarrer le dépistage à 55ans jusqu’à 70 ans. Ainsi de nombreux cancers sont détectés après 65 ans et ils peuvent être soit avancés donc incurables, soit dépourvus d’intérêt clinique : le cancer de la prostate mettant 6 à 10 ans pour devenir métastatique et 10 à 12 ans pour conduire à la mort (Holmberg 2005). Pour espérer détecter des cancers guérissables, au stade localisé, il faut donc démarrer le dépistage à un âge plus précoce : 50 ans et même plutôt 40 pour les populations à risques (antécédents familiaux, origine ethno-géographique)

Une fois le cancer détecté, le patient et ses médecins doivent déterminer le statut biologique exact : cette étape cruciale s’appelle le staging. Si l’on saute cette étape, la stratégie relève de la devinette (Dr STRUM).
Les associations de malades dénoncent la dramatisation de la consultation et surtout celle de l’annonce du diagnostic qui permet à certains médecins de se précipiter sur une thérapie sans staging (le plus souvent, la prostatectomie).

Les données de base d’un staging sérieux sont : PSA total, Rapport PSA total/PSA libre, densité du PSA, Vélocité du PSA, PAP, DRE, Volume de la prostate, score de Gleason et résultats des techniques d’imagerie.

La stratégie peut se définir grâce aux algorithmes et nomogrammes (Partin – D’Amico – Narayan – Kattan) qui permettent de calculer les probabilités d’extension de la tumeur et les risques de récidive d’un traitement par rapport à un autre. Une telle connaissance permet un dialogue efficace avec des spécialistes compétents pour analyser les risques et les bénéfices de tous les traitements.

Pour éviter le sur-traitement des cancers indolents, il existe de nombreuses options. Pourquoi choisir la plus invasive (prostatectomie) alors qu’il existe d’autres options moins agressives [curiethérapie, cryochirurgie, HIFU, Déprivation Androgénique Intermittente (Tucker 2005) ou Surveillance Active (Klotz 2005)].

D’autre part, les nomogrammes et algorithmes permettent de prédire l’échec des traitements locaux dans le cadre d’une maladie systémique. Pourquoi ne pas utiliser ces outils, lorsqu’on sait que plus de 40% des prostatectomies aboutissent à des échecs.

Information

C’est la première étape, obligatoire dans une démocratie sanitaire.

Prévention

Nous devons inciter la recherche à se pencher sur la chimioprévention afin de confirmer l’efficacité de certains médicaments et alicaments.
Nous devons informer la population afin de l’orienter vers de nouvelles habitudes alimentaires.

Dépistage

Le dépistage doit démarrer dès l’âge de 40 ans.
Le seuil de dépistage doit être abaissé à 2,2 ng/mL (Babaian 2006).

Staging

Arrêter la cascade : PSA – Biopsie – Prostatectomie.
Définir un staging détaillé et appliquer les nomogrammes pour la stratégie.

Etudes récentes qui bouleversent les idées reçues :

  • Holmberg 2005 : après 65 ans, la prostatectomie ne présente pas d’efficacité par rapport à la surveillance active.
  • Klotz 2005 : définition de la Surveillance Active : PSA < 10-15 ng/Ml Gleason ? 6 PSADT > 3 ans
  • Tucker 2005 : résultats d’une Déprivation Androgénique intermittente (13 mois d’ADT3). 100 % de survie spécifique à 10 ans sans effets secondaires notables (dans une cohorte de 110 patients).

Problème
Ce nouveau paradigme relève des dernières données de la recherche. S’il est appliqué correctement, il peut aboutir à sauver des milliers de vie chaque année rien qu’en France. Il peut également aboutir à éradiquer les effets secondaires de nombreux traitements invasifs inappropriés. Il aboutira en outre à réduire le nombre des prostatectomies de plus de 40 % (ce qui en termes économiques peut être difficilement admis par quelques urologues).

DEPENSES
Information 10 M €
Prévention (recherche) 5 M €
Dépistage 100 M €

ECONOMIES
Staging (éviter les techniques d’imagerie d’une sensibilité quasi-nulle dans les cancers non-agressifs) 10 M €
Stratégie
– (suppression des prostatectomies inutiles) 70 M €
– (suppression de nombreuses invalidités des malades) 20 M €
Retour aux activités économiques 190 M €
(cf. Kevin MURPHY and Robert TOPEL. Univ. Chicago, graduate School of Business, J. Politic Econ.2006)

TOTAL DES DEPENSES : 115 M €
TOTAL DES ECONOMIES : 290 M €

Conclusion : avec un solde positif de 175 M €, les autorités sanitaires doivent pouvoir récompenser les bonnes pratiques des urologues.

Remarque : cette approche économique sera détaillée par un travail réalisé par un chercheur spécialisé dans la quantification de cette action de santé publique.

Conclusion générale

Les malades du cancer de la prostate sont les premières victimes de ce qui a été mal fait ou de ce qui n’a pas été fait. Ils sont donc les témoins privilégiés de ce qui doit être fait (information – prévention – dépistage) et bien fait (diagnostic – staging – traitement – support). Ils revendiquent aujourd‘hui la responsabilité de participer dans une démocratie sanitaire au contrôle de leur maladie.

La morale, l’éthique, la loi, la médecine, la politique, le résultat économique constituent des facteurs qui sont tous en faveur du nouveau paradigme. Nous suivons la même histoire que celle du cancer du sein mais avec 10 ans de retard. Lorsqu’aux USA, les femmes se sont plaintes des mastectomies systématiques après un diagnostic de cancer du sein, la réglementation est venue à leur secours en imposant aux femmes d’être examinées par un oncologue avant tout acte chirurgical. Est-ce la voie à suivre ou devons-nous inviter les urologues au dialogue ? Lorsque nous voyons l’excellence des relations que nous entretenons avec le Professeur VAN POPPEL au niveau européen, avec le Docteur EICHHORN en Allemagne ou aussi avec le Professeur CUSSENOT en France, nous pouvons être optimistes mais il s’agit de ne pas se contenter de le dire.